5- Sicile Normande en 1043 à 1071

La situation de l’Italie méridionale en l’an 1000. A la frontière de trois ensembles qui se neutralisent, la chrétienté latine, le monde byzantin et le monde musulman, eux-mêmes déchirés par des conflits internes, l’Italie du sud constitue un espace hétéroclite et divisé.       La supériorité militaire :
 
Les Normands ont parfaitement assimilé les techniques de combat de la cavalerie lourde, empruntées aux Francs : charges en rang serré et par vagues, choc frontal contre les armées constituées de fantassins. La cavalerie devient l’arme majeure du combat alors que chez leurs adversaires (comme autrefois chez les Romains), elle est constituée d'auxiliaires qui mènent en « voltigeurs » un combat de harcèlement et rompent après avoir tiré leurs flèches ou leurs javelots.
Ajoutons que cette technique de la cavalerie lourde, nouvelle forme de l’art militaire, qui exige synchronisation et discipline de manœuvre apparaît comme tout à fait inédite en Orient et irrésistible au moins dans les premières années.
Les armes: longue lance de 3 m munie de la faucre (crochet fixé sur l'armure pour poser la lance), lourde épée de 95 cm empruntée aux Vikings, pour sabrer de taille, casque à nasal, boucliers en amande de cuir sur armature de bois, haubert, cotes de maille et surtout selle encastrante (la selle normande à arçon et troussequin) et étriers, hérités des Baloucheset des Perses et qui permettent au cavalier, chargeant la lance serrée sous l’aisselle de rester stable et de ne pas être désarçonné par le choc.
 Enfin dans le domaine de l’architecture militaire, les Normands ont imposé un nouveau système de défense : le donjon sur motte (« Ils transformèrent les villages en châteaux forts ». D’abord grossière construction de bois perchée en haut d’une butte entourée d’une palissade, il devient, au moment de l’organisation des comtés de l’Etat Normand, une tour haute à plan carré, sans système saillant, à couronnement de créneaux à l’aplomb des murs.
 
 Le château normand, à l’inverse du château lombard est construit en marge de la cité, souvent à cheval sur le mur d’enceinte. Ce dispositif permet aussi bien  de protéger sa conquête de l’extérieur que de dominer le pays conquis avec une garnison restreinte. Elle facilite en outre la perception des droits feudataires (l’octroi...) .
Bien que la tour soit très présente dans les paysages d’Italie méridionale on ne relève aucun exemple d’architecture normande pure car les occupants ultérieurs (Souabes,  Aragonais) ont plaqué leurs propres ouvrages sur ceux des Normands 
 
Les qualités propres aux Normands .
            Le combat à cheval, tel que décrit ci-dessus, exige une force physique peu commune pour un cavalier, arc-bouté sur ses étriers et dont la musculature supporte tout l’impact du choc sur les adversaires.
De fait les commentateurs de l’époque ne cessent de s’étonner des exploits physiques de ces « maudits » normands : ceux de Guillaume de Hauteville embrochant devant SYRACUSE le chef des Sarrasins « comme un poulet » (on le baptise désormais Guillaume bras de fer), de Hugues Tuboeuf abattant à la bataille deVenosa un cheval d’un seul coup de poing.
On pourrait multiplier les exemples : description flatteuse du physique de Robert Guiscard par Anne COMMENE dans l’ALEXIADE, allusion à la haute taille du comte ROGER, tous propos qui pourraient conduire à la dangereuse glorification d’un aryen blond aux yeux bleus !
Si cette apologie de la force trouve effectivement ses sources dans la vigueur de ces hommes du Nord contrastant avec le gabarit des Méditerranéens et orientaux, il faut cependant noter qu’ils constituent une sorte de sélection par l’âge, le métier (celui des armes), et l’entraînement précoce des chevaliers (dès 16 ans) aux arts martiaux et au maniement des armes. En outre, cette aptitude à l’exercice de la violence guerrière semble heureusement complétée chez nos Normands, par une finesse manœuvrière, un art de la diplomatie et du verbe qui vaudra à Robert le qualificatif de Guiscard (le rusé) mais qui semble pouvoir être assez facilement généralisé : les commentateurs, favorables ou hostiles, évoquent tous cette personnalité à double face (l’esprit vif et la nature féroce).
 
 
C’est alors qu’arrivent les premiers HAUTEVILLE, fils de MURIEL, première épouse de TANCREDE,  titulaire d’un fief obscur du Cotentin, Hauteville, qui avait connu son heure de gloire en sauvant le duc Richard de la fureur d’un sanglier blessé. Richard puis Robert le magnifique étaient morts alors que le jeune Guillaume le bâtard se débattait dans un conflit dynastique implacable et Tancrède se demandait comment faire vivre  sa gigantesque famille (12 fils et plus encore de filles issus de deux épouses , MURIEL et FRESSEGARDE ) .
Les fils aînés GUILLAUME, puis DREUX viennent alors gonfler le flot de ces chevaliers pauvres, fascinés par les richesses de l’Orient, d’abord mercenaires de BYZANCE au service du général MANIAKES, ils participent à une reconquête manquée de la Sicile (1038-1040) avant de se disputer avec lui pour le partage du butin .
Une nouvelle révolte éclate en Pouilles (1040), les Normands s’y précipitent et s’établissent à MELFI, dont ils mettent à sac toute la région. L’armée impériale byzantine réagit et se fait battre à plate couture à VENOSA (1043). Cette victoire permet une première organisation territoriale en 12 comtés. Les Normands occupent une bande de 100 kms entre Lombards et Grecs, avec deux accès à la mer à SIPONTO et TRANI. Guillaume bras de fer reçoit ASCOLI, DREUX, VENOSA, MELFI reste indivise. Les envahisseurs font appel alors à de nouveaux migrants pour tenir le pays et ONFROI, un troisième Hauteville arrive ...
Deux partis normands se disputent alors l’influence sur l’Italie du Sud, RAINOLF d’Aversa en Campanie et Guillaume bras de fer dans les Pouilles . La mort de l’un et de l’autre créent une situationnouvelle . La succession du Comte d’Aversa s’enlise dans les intrigues, celle de Guillaume est vite réglée : Les barons normands proclament DREUX  duc d’APULIE et de CALABRE . ONFROI auquel est confiée la place d’AVELLO, élargit le territoire vers le sud (OTRANTE), le Nord de la BASILICATE et de laCALABRE . C’est alors qu’arrive ROBERT (1045) et que commence vraiment avec lui, l’histoire de l’Etat Normand.
1041 : on voit arriver sous les murs d’ASCOLI une bande loqueteuse de pèlerins, armés de bourdons
[3] et couverts de mantelets[4]. Leur chef se fait connaître, c’est ROBERT d’HAUTEVILLE, premier fils de FRESSEGARDE, seconde épouse de TANCREDE. Né vers 1015, il jouissait (ou souffrait) àHauteville, d’une réputation de faible d’esprit ce qui lui avait valu de rester longtemps sur les terres normandes entre « papa- maman » !
Débarrassé de sa défroque d’emprunt, ROBERT dément rapidement les ragots : d’une grande beauté, les cheveux blonds, de taille élevée, ses yeux brillent d’intelligence mais son regard inquiète. Quant à sa voix, elle est posée et convaincante. (Anne Commène dans l’ « Alexiade »). DREUX (qui le sous estime ou le juge dangereux) le congédie.
Ce qui lui vaut d’entrer comme mercenaire au service du Prince de CAPOUE. Insatisfait, il revient demander des comptes à DREUX qui l’envoie alors occuper la place de SCRIBLA, dans la vallée de la CRATI, avec une poignée d’hommes. L’endroit est désolé, aride, dominé par les hautes falaises du mont POLLINO. Pour survivre, ROBERT pille la campagne environnante puis se réfugie dans le nid d’aigle de SAN MARCO ARGENTANO. Toute une légende s’attache alors à lui et il devient un personnage mythique dont les exploits réels ou imaginaires occupent de multiples récits. Il se marie avec AUBREE, issue d’une famille normande « installée » et fonde sa principauté (en CALABRE) se rendant maître en 1052 d’une bonne partie de la péninsule. C’est alors qu’on lui attribue le surnom de Guiscard « le rusé ». Cette expansion des normands devenue incontrôlée, inquiète vivement le pape LEON IX qui fait assassiner DREUX et, à la tête d’une coalition réunissant Lombards et Byzantins marche à la rencontre de l’armée normande. C’est la bataille de CIVITATE (17 juin 1053) véritable tournant de l’histoire. Les coalisés sont écrasés, le pape fait prisonnier.
 
Avec une maîtrise consommée de l’événement, ROBERT traite son prisonnier avec infiniment de respect ...et lui impose une réconciliation forcée. ONFROI meurt et ROBERT est reconnu comme chef en APULIE. Léon IX meurt. Nicolas II lui succède. La papauté et les Normands découvrent la convergence de leurs ambitions politiques et l’intérêt qu’ils peuvent tirer d’une alliance pragmatique, profitable pour les deux partis. Il est  vrai qu’est intervenu dans l’intervalle le grand schisme de 1054 quand le pape excommunie Michel CERULAIRE, patriarche de Constantinople, consommant la rupture entre l’église romaine d’occident et grecque d’orient. A MELFI en 1059, le pape reçoit le serment de fidélité de ROBERT (qu’il investit duc des Pouilles, de la CALABRE et de la SICILE (en anticipant une victoire sur les Arabes !..) et de Richard d’AVERSA (de la lignée de REINOLF) qu’il investit de la principauté de CAPOUE.
En échange, les Normands soutiennent le Saint Siège dans ses oeuvres réformatrices et peuvent se permettre, eux que l’on qualifiait hier de « nouveaux Sarrasins », de défier les deux grandes puissances de la Méditerranée : les Grecs et les Arabes.
 
1059 : Le pape Nicolas II reconnaît le frère de Guillaume, Robert Guiscard, comme « duc de Pouille et de Calabre et duc futur de Sicile ». À cette date, les Normands se sont déjà emparés de Reggio de Calabre, et Ibn ath Tumnah les appelle à l’aide.
- Arrivée de Roger.
1057 : Mais entretemps, est arrivé en Italie un second fils de FRESSEGARDE : ROGER, dont la stature vaut, à bien des égards, celle de ROBERT, qui, se souvenant de la fraîcheur de l’accueil de DREUX, le reçoit avec amitié et lui confie 60 chevaliers avec la mission d’achever la conquête de la CALABRE sous domination byzantine. La personnalité de ROGER dépeinte de façon idyllique par GEOFFROI MALATERA, vaut qu’on s’y arrête : Il était de haute taille, de grande beauté, spirituel, gai, affable, fort et brave, sage et prévoyant. Sa parole enjôleuse savait convaincre les plus réticents. Mais il était d’une ambition dévorante,prompt à la rébellion lorsque ses désirs immédiats n’étaient pas satisfaits.
Remarquable stratège, ROGER poursuit la conquête de la CALABRE qu’il achève avec la chute deREGGIO. Doté par ROBERT de la place de MILETO, ROGER ne tarde pas à considérer comme bien mince la récompense, et, dans cette CALABRE famélique à « lorgner les riches terres à blé et vignobles de Sicile qui s’aperçoivent tout près, de l’autre côté du détroit de MESSINE. En effet, le climat sicilien de l’époque, plus humide qu’aujourd’hui et les remarquables cultures irriguées développées par les Arabes autorisent une richesse et une fécondité incomparable des sols.
- La conquête de la Sicile.
           Après un conflit sévère opposant ROBERT et ROGER (qui se résout par le partage à parité de leur souveraineté sur chaque place calabraise), nos deux compères vont se lancer dans une conquête conjointe de la SICILE dont l’écrasante victoire de CERAMI sur une armée arabe  bien supérieure en nombre marque une étape décisive (1063). Ce sera toutefois l’oeuvre principale de ROGER dont l’action sera facilitée par "Betumen" (IBN ATH THUMAH en lutte intestine contre l’émir d’AGRIGENTE) et les Grecs du Val Demone. Devant à multiples reprises rejoindre ses possessions continentales pour mater les rebellions épisodiques des barons normands et achever la conquête des Pouilles, ROBERT liquide en quelques mois la présence grecque vieille de plus de cinq siècles en Italie du sud en prenant BARI (1071) abandonnée par un empire d’Orient qui subit revers sur revers contre les Turcs sur ses frontières orientales et dont l’armée est anéantie en Arménie. 


1061 : Les Normands s’emparent de Messine, prennent Traïna mais échouent devant Castrogiovanni puis, en 1064, devant Palerme.
1071 : Roger, le plus jeune frère de Robert Guiscard, s’empare de Catane.



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